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À la recherche des reliques perdues

Dernière mise à jour : 14 sept.

Le sarcophage de l’impératrice Hélène (4e s.), Musei Vaticani, Rome, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:011-_Sarcofago_di_Sant%27Elena,_310-320_d.C._-FG.jpg, CC BY-SA 4.0 BY Fabrizio Garrisi.
Le sarcophage de l’impératrice Hélène (4e s.), Musei Vaticani, Rome, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:011-_Sarcofago_di_Sant%27Elena,_310-320_d.C._-FG.jpg, CC BY-SA 4.0 BY Fabrizio Garrisi.

L’impératrice Hélène, la mère de l’empereur Constantin Ier (306-337), est morte vers 329, après un pèlerinage en Terre Sainte. Selon l’historien Eusèbe de Césarée (4e s.), Hélène fut enterrée « dans la ville impériale », c’est-à-dire à Rome. Néanmoins, les écrivains orientaux ultérieurs ont transformé cette « ville impériale » en la « Nouvelle Rome », c’est-à-dire la ville de Constantinople, afin d’accroître le prestige de la nouvelle capitale. À la suite de cette modification, plusieurs églises considèrent encore qu’elles garderaient les reliques de l’impératrice, même si rien ne certifie leurs pieuses revendications.

 

Hélène à Rome

Dans la Vie de Constantin (CPG 3496), Eusèbe de Césarée affirme qu’Hélène fut enterrée « dans la ville impériale » (ἐπὶ τὴν βασιλεύουσαν πόλιν), dans les « tombeaux impériaux » (ἠρίοις βασιλικοῖς). [1] Puisque la ville de Constantinople fut inaugurée seulement en 330, la cité mentionnée par Eusèbe est sans doute Rome, la capitale de l’Empire, où Hélène avait également vécu plusieurs années. Le lieu d’enterrement fut le mausolée situé sur la Via Labicana (aujourd’hui Via Casilina), près de la catacombe de Marcellinus et Pierre, comme l’attestent une notice du Livre des Pontifes (Liber Pontificalis) au 6e siècle et plusieurs guides de pèlerinage du 7e siècle. [2] 

 

Selon une tradition d’une authenticité incertaine, plus tard, au 9e siècle, une partie des reliques d’Hélène aurait été volées et transportées de Rome à Hautvillers, en France (département de la Marne). [3] Ces ossements se trouvent aujourd’hui à l’église Saint-Leu-Saint-Gilles à Paris. Au 12e siècle, à Rome, le pape Innocent II (1130-1143) transféra ce qui restait des reliques d’Hélène de son mausolée à l’église Santa Maria in Aracoeli, sur le Capitole. Le sarcophage en porphyre qui avait probablement gardé le corps de la sainte fut utilisé afin de déposer, pour une certaine période, les restes du pape Anastase IV (1153-1154). [4]

 

Hélène à Constantinople

En contradiction avec cette tradition occidentale, plusieurs historiens orientaux ont considéré que le tombeau d’Hélène se serait trouvé dans la capitale byzantine. Le premier d’entre eux fut Socrate de Constantinople (5e siècle). Dans son Histoire ecclésiastique, il utilisa le texte d’Eusèbe à ce sujet, mais changea « la ville impériale » par la « Nouvelle Rome », [5] puisqu'à son époque, Constantinople était la capitale de l’Empire romain d’Orient. Faute involontaire ou modification consciente ? Impossible de dire. [6] 

 

Plusieurs écrivains ultérieurs ont repris ce changement maladroit et ajouté qu’Hélène fut enterrée à l’église des Saint-Apôtres, [7] même si Constantin l’avait construite pour abriter seulement son tombeau, entouré de ceux des apôtres. Puisqu'aucune sépulture de cette église n’a été connue comme appartenant à l’impératrice, ils ont également pensé que les restes de Constantin et Hélène auraient été déposés dans le même sarcophage. [8] Plus tard, afin de concilier les affirmations contradictoires d’Eusèbe et de Socrate, d’autres auteurs ont imaginé que les reliques d’Hélène ont été transférées de Rome à Constantinople deux ans après la mort de Constantin. [9] Tous ces confusions et changements d’opinion ont alimenté les doutes à ce sujet, comme le confirme l’écrivain Nicholas Mésaritès (ca. 1160-1216) vers la fin du 12e siècle. [10]

 

Hélène l’impératrice ou Hélène d’Athyra ?

Même si la confusion créée par l’historien Socrate est évidente, des religieux venus d’Occident après la conquête de Constantinople par les Latins en 1204 ont soutenu l’idée que les reliques d’Hélène se trouvaient dans la ville au moment de leur arrivée. Après les Byzantins, c’était le tour des Croisés à se vanter de posséder les restes de l’impératrice. Dans ce contexte, les reliques d’Hélène auraient été transférées à la fois à Venise, en 1212, au monastère (aujourd’hui église) Sant’Elena, et à Troyes, une ville située à seulement 100 km au sud d’Hautvillers, en 1220. [11] Une concurrence ecclésiastique entre ces trois villes à ce sujet est facilement à imaginer.

 

Néanmoins, l’authenticité des reliques envoyées en Occident au 13e siècle reste incertaine. Selon toute probabilité, le corps partagé à cette occasion n’avait pas appartenu à l’impératrice Hélène, mais à une vierge Hélène, dont la vénération est attestée à Athyra (aujourd’hui Büyükçekmece, ca. 50 km ouest d’Istanbul), à la fin du 12e siècle. [12] La confusion a été préméditée, afin de donner plus d’importance aux reliques transférées en Occident et d’accroître le prestige des lieux où elles étaient conservées. [13] Il semble qu’Hélène d’Athyra, une sainte presque inconnue, a pris la place de l’impératrice Hélène, dont les reliques, en tout cas, n’étaient arrivées à Constantinople que selon l’imagination ou la propagande religieuse locale.

 

[1] Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, §3.47, trad. M.‑J. Rondeau (Sources chrétiennes, 559), Paris, 2013, p. 410411. CPG fait référence à Clavis Patrum Graecorum.

[2] Liber Pontificalis, §34.26, trad. R. Davies, The Book of Pontiffs (Liber Pontificalis): The Ancient Biographies of the First Ninety Roman Bishops to AD 715 (Translated Texts for Historians, 6), Liverpool, 2010, p. 22 ; Notitia ecclesiarum urbis Romae, éd. R. Valentini – G. Zucchetti, Codice topografico della città di Roma, 2 (Fonti per la storia d’Italia, 88), Rome, 1942, p. 83 ; De locis sanctis martyrum, éd. Valentini – Zucchetti, Codice topografico, p. 113 : ecclesia sanctae Elenae ubi ipsa corpore iacet. Il est très probable qu’à l’origine, le monument aurait été destiné à l’empereur Constantin lui-même ; voir M. J. Johnson, The Roman Imperial Mausoleum in Late Antiquity, Cambridge, 2009, p. 110‑118 ; J. W. Drijvers, Helena Augusta and the City of Rome, dans M. Verhoeven et al. (éd.), Monuments & Memory: Christian Cult Buildings and Constructions of the Past: Essays in Honour of Sible de Blaauw, Turnhout, 2016, p. 147-153.

[3] Acta Sanctorum Aug., III, p. 601‑603 (Bibliotheca Hagiographica Latina 3773). Voir C. Ménager, Doute sur les reliques et enquête d’authentification : l’exemple d’Hélène, dans Questes, 23 (2012), p. 22-31, https://journals.openedition.org/questes/917#quotation.

[4] Acta Sanctorum Aug., III, p. 606 (§30).

[5] Socrate de Constantinople, Histoire ecclésiastique, §1.17, trad. P. Périchon – P. Maraval (Sources chrétiennes, 477), Paris, 2004, p. 180-181.

[6] G. Dagron, Emperor and Priest: The Imperial Office in Byzantium, Cambridge, 2003, p. 145, n. 64.

[7] Alexandre de Chypre (le Moine), Sur l’invention de la Vraie Croix (CPG 7398), Patrologia Graeca, 87/3, 4016-4076, ici 4068C ; C. Mango – R. Scott (trad.), The Chronicle of Theophanes Confessor, Oxford, 1997, p. 42-43 (AM 5817).

[8] Constantin VII Porphyrogénète, Le livre des cérémonies, §2.42, éd. G. Dagron et al., Paris, 2020, vol. 3, p. 238-239 et n. 4. Voir G. Downey, The Tombs of the Byzantine Emperors at the Church of the Holy Apostles in Constantinople, dans The Journal of Hellenic Studies, 79 (1959), p. 27-51. Il s’agit probablement d’une confusion entre Hélène et Fausta, la femme de Constantin Ier.

[9] Nicéphore Calliste Xanthopoulos, Histoire ecclésiastique, §8.31, Patrologia Graeca, 146, col. 117-120.

[10] A. Heisenberg, Grabeskirche und Apostelkirche, zwei Basiliken Konstantins, 2, Die Apostelkirche in Konstantinopel, Leipzig, 1908, p. 82.9-10 (§39) : « on dit qu’Hélène … est enterrée avec son fils » (λόγος δὲ καὶ Ἑλένην … τῷ ταύτης συντεθάφθαι υἱῷ), trad. G. Downey : Nikolaos Mesarites. Description of the Church of the Holy Apostles at Constantinople, dans Transactions of the American Philosophical Society, 47.6 (1957) (n.s.), p. 855-924, ici 891. Voir M. J. Johnson, Where were Constantius I and Helena Buried?, dans Latomus, 51 (1992), p. 145‑150.

[11] Antoine de Novgorod, Le livre de pèlerin, trad. B. de Khitrowo, Itinéraires russes en Orient, 1.1, Genève, 1889, p. 110. Voir R. Janin, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin, 1.3, Les églises et les monastères, Paris, 1969, p. 110.

[12] X. Lequeux, Saints oubliés de Byzance (2). Hélène d’Athyra, dans Analecta Bollandiana, 130 (2012), p. 351-353.

[13] P. J. Geary, Living with the Dead in the Middle Ages, Ithaca (NY), 1994, p. 221-242 ; A. E. Lester, Translation and Appropriation: Greek Relics in the Latin West in the Aftermath of the Fourth Crusade, dans S. Ditchfield et al. (éd.), Translating Christianity (Studies in Church History, 53), Cambridge, 2017, p. 88‑117.

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